Charlotte Duperray

Liberté réveillée

In Actualité on 19 novembre 2015 at 211225

Je suis française, j’ai trente ans, je suis privilégiée. Hier je m’éveillais. Aujourd’hui je me réveille. J’ai eu la chance de grandir en femme libre, libre de penser, de croire, de parler, de me déplacer et de faire. Je n’ai pas mené de batailles. Je n’ai pas eu à batailler. Je suis née avec cette liberté. Et j’en ai profité.

Cette liberté m’a été offerte. Elle ne m’appartient pas, même si longtemps elle m’a profondément constituée. Je suis redevable. Redevable à ceux qui se sont révoltés, battus, ceux qui ont donné leur vie, leur conviction et leur énergie pour permettre à des générations comme la mienne d’être née libre et d’avoir grandi dans un climat de liberté. Aujourd’hui je me réveille avec cette liberté bouleversée. Et aussi avec cette liberté grandie. En y décelant sa précarité, j’ai mesuré sa préciosité. Hier je m’éveillais au monde, aujourd’hui je me réveille  avec le monde. Requinquée comme après une longue sieste. Prête à me lever. Nourrie de cette grande liberté qui m’habite. Et portée par une formidable envie de vivre, libre. Coûte que coûte.

Les voyages forment la jeunesse. Je mesure davantage la richesse de cet enseignement. J’ai 30 ans. J’ai voyagé aisément. Par goût de l’inconnu, de la découverte de l’autre, de l’immersion dans une culture nouvelle. Il y a quelques années, lors d’un grand séjour au Pérou j’ai rencontré des femmes et des hommes de ma génération. Des jeunes trentenaires marqués dans leur enfance par la guerre civile péruvienne, des jeunes trentenaires engagés dans la construction de leur pays, acteurs de son épanouissement, des jeunes trentenaires fiers de leur culture et désireux de la promouvoir. Une génération concernée, positive, convaincue. Une génération touchée par la violence, confrontée à la peur, sensibilisée au danger. Et pourtant une génération debout, confiante, mobilisée. Une génération réveillée.

Les attentats ont mis en lumière cette liberté que je pensais naturelle à mon mode de vie à la française. Les attentats ont libéré cette fierté sourde que je porte à mon pays, les attentats ont décuplé cette confiance que j’ai envers l’Autre et cet optimisme avec lequel je vis. Je vais peut-être me promener dans la rue avec de la méfiance, je vais sans doute connaître la peur. Cette peur, je vais l’apprivoiser. Je vais apprendre à vivre avec. Avec + de vigilance, + de discernement, + d’amour et + de respect et + de courage pour continuer à vivre libre.

Je vais raconter à mes enfants qu’être libre n’est pas un don, qu’être libre c’est précieux. Et que cette liberté on doit, sans cesse, la construire, la protéger, ensemble. Car elle rend la vie douce.